Les mélodies individuelles
Afin d’introduire le sujet, voici l’exemple de deux mélodies obtenues à partir d’arbres aux parcours très différents.
Exemple de mélodies obtenues pour un arbre jeune et un arbre vieux
Le premier arbre est né suite à un feu de forêt. Face à l’absence d’arbres au-dessus de lui, il a ainsi pu pousser en toute liberté dans la majorité de sa vie. La majorité des notes composant sa mélodie sont donc aiguës. Il n’est par contre pas très vieux : la mélodie contient 86 notes, cela signifie qu’il n’a que 86 ans. Le second arbre est bien plus ancien, la durée de sa mélodie étant de 162 notes, soit 162 années. Il semble qu’il soit né sous le couvert d’autres arbres, d’où une croissance faible et des notes graves au début de sa vie. En raison des régulières montées vers des notes plus aigües que l’on peut entendre, on peut néanmoins en déduire qu’il a de nombreuses fois profité de la mort d’arbres voisins plus grands que lui – et donc de l’espace dégagé – pour gagner en hauteur.
Avant le stade de vieille forêt: la forêt équienne
Les perturbations naturelles les plus violentes, par exemple les feux de forêts, causent souvent la mort de l’ensemble des arbres des forêts affectées. Les graines d’espèces d’arbres adaptées à de telles perturbations s’établissent et germent peu après dans ces peuplements désormais totalement libres de toute concurrence. Leur croissance annuelle est donc souvent élevée. Tous ces nouveaux arbres apparaissent à peu près en même temps ; ils ont ainsi tous un âge similaire. On utilise alors le terme « équienne » pour désigner ce type de forêt. Nous ne sommes donc pas encore dans des vieilles forêts.
Dans les extraits audios présentés ici, nous pouvons entendre que toutes les mélodies individuelles commencent dans les premières secondes et sont dominées par des notes aigües. Cela indique donc que tous ces arbres sont apparus dans le même temps et profitent de l’absence de concurrence pour pousser le plus vite possible. Il s’agit donc de forêts équiennes.
Les vieilles forêts
Dans les vieilles forêts, les arbres meurent de manière isolée ou par petits groupes en raison des perturbations naturelles de faible intensité ou du simple vieillissement. Ces vieux arbres laissent alors, en mourant, la place à de plus jeunes arbres ; la mortalité est ainsi un élément à part entière de la dynamique des vieilles forêts. Il s’établi alors un roulement entre vieux arbres mourant et jeunes arbres prenant leur place ; en l’absence de toute perturbation de forte intensité, cette dynamique peut théoriquement perdurer indéfiniment
Dans les extraits audios présentées ici, on peut entendre régulièrement de petites fulgurances isolées de notes plus aigües. Il s’agit en réalité de jeunes arbres prenant la place d’un ou de plusieurs vieux arbres récemment décédés, poussant donc plus vite en raison d’un meilleur accès la lumière.
Une mortalité naturelle ponctuelle et plus forte: le cas de la tordeuse des bourgeons de l’épinette
La tordeuse des bourgeons de l’épinette est une espèce de papillon apparaissant massivement dans la forêt boréale tous les 30 ans environ, et dont la chenille se nourrit des aiguilles d’épinette et de sapin. Lorsque trop de chenilles de tordeuse mangent les aiguilles des arbres pendant trop longtemps, ceux-ci finissent par mourir. Toutefois, la tordeuse cause rarement la mort de tout le peuplement. Elle aura plutôt tendance à tuer les arbres les plus fragiles, libérant de l’espace pour leurs congénères plus résistants ou plus chanceux.
Dans le video: exemple de symphonie obtenue pour une vieille forêt fortement perturbée par la tordeuse des bourgeons de l’épinette
Dans les extraits audios présentés ici, l’épidémie de tordeuse des décennies 1970-1980 a causé une très forte mortalité dans les peuplements correspondant. Néanmoins, cet important espace dégagé sur une très faible période de temps a permis de faire grandement augmenter la croissance des arbres survivants, audible par l’explosive chorale de notes très aigües sur les dernières secondes des pistes.
Le cas de la paludification
La mort des arbres, individuelle ou par groupe, est un élément à part entière des vieilles forêts, moteur de leur dynamique. Cette mortalité ne cause donc pas le déclin de ces forêts. Le déclin d’une vieille forêt s’observe lorsque la croissance des arbres est affaiblie par des conditions extérieures, empêchant les jeunes arbres de remplacer les anciens et menant à l’ouverture progressive du peuplement, jusqu’à sa disparition au bout de plusieurs siècles. En forêt boréale, ce processus s’observe dans de mauvaises conditions de drainage qui, combiné aux conditions climatiques extrêmes, finit par transformer le sol en tourbière. C’est la paludification (ou entourbement). Dans cet environnement, les arbres ne trouvent plus de conditions adéquates pour leur croissance et le peuplement décline peu à peu. Seul un feu de forêt, en brûlant le sol, pourra relancer la dynamique de ces peuplements.
Dans les extraits audios présentés ici, les forêts subissent les effets de la paludification et la croissance générale des arbres est très faible, se retranscrivant par l’omniprésence de notes graves.