Les Symphonies
Les Symphonies boréales sont basées sur des données de croissance annuelle d’arbres composant plusieurs dizaines de vieilles forêts boréales du Québec. Ces données sont utilisées en recherche pour reconstruire l’histoire et la dynamique des peuplements forestiers au cours des siècles. Leur transcription en musique, où la hauteur des notes dépend de l’importance de la croissance annuelle de l’arbre, permet donc de reconstituer la vie de ces forêts jusqu’aux années 1700 !
Par ailleurs, chaque forêt se caractérise par une histoire qui lui est propre. La diversité de ces symphonies permet alors d’illustrer la richesse de la dynamique forestière dans les territoires boréaux du Québec.
La forêt 90 ans après le feu, l’exemple de la forêt équienne
Voici l’une des premières symphonies produites pour le projet. Il s’agit d’une forêt composée essentiellement d’épinette noire et de bouleau à papier, âge de 86 ans et située à environ 200 km au nord du lac Saint-Jean, au Québec. On la qualifie « d’équienne » (du même âge) car les graines à l’origine des arbres qui la compose ont germé presque tous en même temps, suite à un feu de forêt ayant eu lieu autour de l’année 1930
La forêt équienne est le premier stade de ce que l’on appelle la « succession forestière », c’est-à-dire les changements de composition, d’aspect et de structure que l’on observe dans les forêts au cours du temps. En l’absence d’une nouvelle perturbation de forte ampleur dans les prochaines années, ces arbres finiront par mourir progressivement pour être remplacé par de nouvelles épinettes noires et par le sapin baumier. Dans la forêt boréale du Québec, il s’agit des deux principales espèces capables de se régénérer aisément sous l’ombre d’arbres adultes. Le bouleau à papier en est, quant à lui, incapable et nécessite un plein accès à la lumière, comme on peut l’observer après un feu de forêt.
Après la forêt équienne, le stade de vieille forêt
Les symphonies boréales sont majoritairement produites à partir de ce que l’on appelle “vieilles forêts” ou parfois “forêts anciennes”. Ces différents noms décrivent des forêts où cohabitent plusieurs générations d’arbres, d’âge et de taille différente. C’est vers ce type de forêt qu’évoluent naturellement les peuplements équiennes – c’est-à-dire de même âge – au cours du temps, d’où l’utilisation des qualitatifs “vieux” ou “anciens”.
Quand un ou plusieurs arbres dominants meurent dans ces forêts, ils donnent de l’espace à ceux plus petit situés en dessous, qui peuvent alors venir prendre leur place. Il en résulte donc des symphonies plus complexes que dans les forêts équiennes, où se mêlent des notes généralement médiums avec de courtes fulgurances aiguës révélant ce processus de mortalité/régénération à petite échelle.
La vie des vieilles forêts, tout sauf un long fleuve tranquille
Le remplacement régulier d’arbres morts seuls ou par groupes par de nouveaux arbres plus jeune est le processus écologique qui définit les vieilles forêts. Ces phases de mortalité sont le plus souvent discrètes, où un gros arbre isolé meurt de vieillesse et crée une petite trouée dans la canopée.
Certains évènements peuvent néanmoins causer une mortalité bien plus significative, comme par exemple certaines épidémies d’insectes défoliateurs. En tuant une large proportion de la canopée, de telles perturbations changent significativement la dynamique des peuplements. Cela permet le plus souvent à la majorité des arbres petits, qui patientaient jusque-là sous l’ombre des plus grands, d’augmenter significativement leur croissance, et ce presque au même moment, pour prendre leur place.
Au Québec, la tordeuse des bourgeons de l’épinette est le principal insecte défoliateur de la forêt boréale. Bien que son impact sur les forêts puisse paraître impressionnant, la mortalité qu’elle provoque se fait au bénéfice d’autres arbres. Cela peut s’entendre à la fin de la symphonie présentée ici : on entend une courte descente dans les basses suivie d’une explosion de notes aiguës. Les petits arbres viennent donc de profiter de l’espace dégagé par la mort des grands pour accroître significativement leur croissance et leur taille.